Anomalies, malformations et résilience : nouvelles études sur les effets des radiations sur la vie sauvage à Tchernobyl et à Fukushima

Cher Akio,

Merci de m’avoir donné l’opportunité de partager ce bref résumé de mes activités de recherche en Ukraine, en Biélorussie et au Japon, et d’exposer mes projets d’études à venir dans ces régions. Mes objectifs cette année sont de continuer à renforcer notre collaboration multinationale, de poursuivre nos efforts de recherche en cours à Fukushima comme à Tchernobyl, et d’obtenir de l’aide pour coordonner et ouvrir de nouvelles voies de recherche qui impliqueront des chercheurs du Japon et d’autres pays.

Il n’existe actuellement aucun autre groupe important qui organise ou sponsorise ce genre de travail, ce qui fait que nous passons à côté de précieuses  occasions d’observer et de comprendre les conséquences des accidents radiologiques sur les populations naturelles ; ces opportunités ratées peuvent être cruciales pour prédire les effets à long terme des accidents nucléaires et d’autres sources d’irradiation dans l’environnement sur les populations humaines. Sans cette recherche il est impossible de se fier aux évaluations des risques qui affecteront les populations humaines vivant au Japon ou les personnes visitant le pays à l’avenir.

Cordialement,

Timothy Mousseau, docteur en biologie
Université de Caroline du Sud

Le programme de recherche Tchernobyl + Fukushima 

Timothy Mousseau

Le programme et ses activités de recherche

Le siège du programme de recherche  Tchernobyl + Fukushima (CFRI) se trouve à l’Université de Caroline du Sud, à Columbia. Les recherches ont commencé officiellement en Ukraine en 2000, et à Fukushima en juillet 2011. À ce jour, le groupe a mené plus de 30 expéditions de recherche à Tchernobyl et 10 expéditions à Fukushima.… Continue reading

Priorité à la sécurité : un tribunal japonais prend une décision capitale. Les Jeux olympiques suivront-ils la même voie ?

12 juin 2014

Akio Matsumura

Au Japon, un tribunal régional a décidé que Kansai Electric Power Company n’avait pas le droit de redémarrer les deux réacteurs de la centrale d’Oi, pour des raisons de faiblesses structurelles. Un article du Mainichi  rapporte cette déclaration du tribunal de Fukui :

« Le droit personnel des individus à protéger leur vie et leurs moyens de subsistance est de la plus haute importance selon la Constitution. Le tribunal a donc conclu qu’il « serait tout à fait naturel de suspendre les centrales nucléaires si elles induisent des risques spécifiques de danger – même s’il est exagéré d’affirmer que l’existence de ces centrales n’est pas autorisée par la Constitution. »

Jusqu’à cet arrêt de justice, les décisions du gouvernement fédéral et du système juridique du Japon étaient destinées à renforcer l’économie et minimiser l’importation. Le présent arrêt a mis l’accent sur le principe de précaution et donné priorité à la santé humaine et environnementale sur la balance des paiements.

Le Japan Times a également résumé la situation :

Le point crucial de l’arrêt du tribunal est l’affirmation qu’il est par nature impossible de déterminer sur des bases scientifiques qu’un séisme d’une amplitude supérieure à celle qui est prise en compte par le pire scénario de l’opérateur ne se produira pas. L’arrêt indique que depuis 2005, quatre réacteurs nucléaires japonais ont subi des secousses sismiques plus fortes que le niveau maximum  prévu pour les centrales en question. C’est faire part d’un « optimisme injustifié », dans un pays où les séismes sont aussi courants, que de penser que des secousses de cette magnitude ne frapperont jamais la centrale d’Oi, a rappelé l’arrêt.… Continue reading

Quand la science n’est pas la bienvenue : Le Japon ignore l’appel du Rapporteur de l’ONU à mieux mesurer l’impact sanitaire de Fukushima

27 mars 2014

Akio Matsumura

« Pourquoi n’avons-nous pas d’analyses d’urine ? Pourquoi n’avons-nous pas d’analyses de sang ? Deux précautions valent mieux qu’une. »

Anand Grover, le Rapporteur spécial des Nations Unies qui s’est rendu à Fukushima en 2012, a rappelé à Tokyo ce mois-ci qu’une recherche adaptée sur Fukushima et son impact sur la santé continue à faire défaut.

Peu de temps après l’accident de Fukushima il y a trois ans, des médecins ont cherché dans toute la préfecture de Fukushima des kystes, des nodules et autres tumeurs qui n’y seraient pas habituellement et pourraient indiquer un cancer de la thyroïde, l’un des effets possibles des radiations. Le nombre de tumeurs découvertes par les médecins est alarmant mais aussi surprenant : normalement les cancers de la thyroïde ne devraient apparaître que cinq ans après l’exposition aux radiations.

Mais alors, que doivent faire les médecins et les responsables sanitaires japonais de cette information ?

Information et précaution, apparemment, ne sont pas les bienvenues au Japon. Le pays a l’intention de redémarrer ses réacteurs nucléaires et de laisser les réfugiés de Fukushima revenir dans les zones qui ont été évacuées. Toute étude indiquant que l’exposition aux radiations peut avoir des effets délétères ne peut qu’entraver ce mouvement vers le progrès économique.

Le Japon a donc pris des mesures subtiles pour freiner les preuves qui pourraient laisser penser que ces décisions n’ont pas vraiment à cœur les intérêts de ses citoyens. Le Japon peut entraver les études scientifiques permettant d’obtenir de nouvelles informations et de nouvelles preuves de deux façons : en mettant fin aux financements et en imposant une culture du secret faisant en sorte que les chercheurs hésitent à parler à la presse.… Continue reading

Fukushima : Trois ans plus tard

Toshio Nishi

Le Japon qui continue de frôler la catastrophe nucléaire, a-t-il tiré la moindre leçon de l’accident de Fukushima ?

Quand en 2011 le pire séisme de toute l’histoire japonaise a pulvérisé la côte nord du pays, des murailles d’eau salée surgies des profondeurs du Pacifique ont déferlé sur quatre des six réacteurs nucléaires situés sur la côte de Fukushima. Quoique conçus pour résister au pire séisme imaginable le long de la Ceinture de feu, les réacteurs ont rapidement succombé aux assauts de cette catastrophe naturelle et se sont brisés comme des jouets. Pour être précis, trois des réacteurs ont fondu immédiatement, ou pour être parfaitement exact, le cœur a fondu et transpercé la cuve. Le réacteur n° 4, quant à lui, a été totalement dévasté, créant des risques de catastrophe supplémentaires. Les deux autres ont simplement arrêté de fonctionner. En l’espace de quelques heures, l’un des réacteurs ayant subi une fusion a explosé, projetant son poison radioactif dans les airs, le sol, les eaux souterraines, et de manière constante, dans l’Océan pacifique. Quelque 18 500 âmes ont péri en ce jour glacial de mars. Beaucoup de victimes n’ont toujours pas été retrouvées.

Trois ans plus tard, la  sombre menace d’une autre tragédie est suspendue au-dessus de Fukushima : au quatrième étage du réacteur n° 4 – c’est-à-dire celui qui a explosé le premier jour – il reste 1 331 barres de combustible usé entreposées dans de l’eau de refroidissement dans une grande cuve en acier. La piscine, secouée par le séisme, penche d’environ 30 degrés.… Continue reading

La vision de Coubertin menacée : le Japon et le Comité International Olympique

24 février 2014

Akio Matsumura

Que retenir des Jeux olympiques de Sotchi ? L’époustouflante cérémonie d’ouverture, entièrement digitalisée ? Les magnifiques tournois de hockey ? Une chute à ski bouleversante ? Quels que soient les moments que vous choisirez de garder en souvenir, des centaines de millions d’autres personnes – fières de leurs athlètes et fières de leur pays – choisiront leurs propres souvenirs après la cérémonie de clôture d’hier. Les Jeux olympiques suscitent en nous un sentiment de fierté nationale et exercent une fascination internationale.

C’est au Comité International Olympique qui supervise toutes les activités olympiques qu’il revient de prolonger cet émerveillement tous les deux ans. Son rôle est assez simple : il s’agit entre autres d’« encourager et soutenir la promotion de l’éthique dans le domaine du sport… » et d’« encourager et soutenir les mesures destinées à protéger la santé des athlètes. » Pierre de Coubertin, le père des Jeux olympiques modernes, était un humaniste célèbre, qui voyait dans la compétition et l’éducation des moyens de promouvoir la paix.

« L’important dans la vie, ce n’est point le triomphe, mais le combat; l’essentiel, ce n’est pas d’avoir vaincu, mais de s’être bien battu. » Pierre de Coubertin

Les dernières décennies ont apporté aux Jeux de nouveaux types de sommets et d’abîmes. On se souvient de la cérémonie d’ouverture de Beijing comme d’un triomphe, tandis que les trois bombes et les victimes des Jeux d’Atlanta resteront une tragédie dans les esprits. Le terrorisme hante les Jeux depuis bien plus longtemps, mais le spectre du terrorisme semble encore plus menaçant pendant les grands événements internationaux, surtout depuis le marathon de Boston en 2013.… Continue reading

Les Jeux olympiques nucléaires : l’élection de Tokyo entre crise et opportunité

Akio Matsumura | English

 

Depuis l’accident de Fukushima accident, j’ai présenté l’avis de plusieurs scientifiques éminents sur la catastrophe de Fukushima et nous avons reçu de nombreuses réponses avisées de la part d’experts issus de divers domaines. Je voudrais remercier ici nos amis d’avoir traduit systématiquement ce travail en français, en espagnol, en japonais et en allemand, une tâche difficile qui nous amené des milliers de nouveaux lecteurs. La conjonction de nos efforts nous a fait gagner une forte crédibilité internationale et a contribué à attirer sur ces problèmes l’attention urgente qu’ils méritent.

Au cours de ces trois dernières années, j’ai commencé à comprendre l’énergie nucléaire et comment  les risques très lourds qu’elle engendre – 10 000 ans de dégâts environnementaux – dépassent ce que la plupart d’entre nous sont prêts à trouver acceptable.

Le mois prochain, la population japonaise a l’opportunité de remettre en question une fois encore la sécurité de Fukushima. Une élection spéciale destinée à choisir le gouverneur de Tokyo doit avoir lieu le 9 février. C’est une élection que le monde entier va suivre et commenter et qui comprend des discussions sérieuses sur la question de l’énergie. Les candidats se sont déjà prononcés pour ou contre l’énergie nucléaire.

Pourquoi l’élection d’un gouverneur devrait-elle avoir une importance internationale ? Tout simplement parce que Tokyo a l’honneur et la responsabilité d’accueillir les Jeux olympiques d’été de 2020.

Dans les semaines à venir, le débat électoral va rouvrir la question de la crise incessante de Fukushima et de la sûreté de l’énergie nucléaire.… Continue reading

L’énergie nucléaire peut-elle répondre aux besoins en électricité de l’Inde ?

M. V. Ramana

Le gouvernement indien est en cours de négociations avec le gouvernement japonais pour conclure un pacte bilatéral de coopération nucléaire qui permettrait à l’Inde d’importer des pièces de réacteurs nucléaires du Japon. L’argument principal utilisé pour justifier les plans d’expansion nucléaire indiens est que le pays souffre déjà de pénurie d’électricité et que sa demande en électricité s’accroît rapidement.

Cette analyse masque au moins trois tristes réalités. La première, peut-être la plus grave, est que le Japon, qui est lui-même actuellement en butte à une très vive opposition démocratique au redémarrage de ses réacteurs nucléaires, puisse envisager d’exporter des pièces de réacteurs nucléaires dans un pays où, là encore, l’opposition à l’énergie nucléaire est considérable, surtout près des sites qui ont été choisis pour l’installation de réacteurs importés par des entreprises comme Westinghouse, General Electric et Areva. On comprend aisément les raisons d’une telle opposition : Suite à la catastrophe du 11 mars 2011, les gens qui habitent près d’une centrale nucléaire existante ou prévue peuvent facilement – et c’est ce qu’ils font –  s’imaginer subir le même sort que les habitants des environs de Fukushima. Ces réacteurs nucléaires sont situés, qui plus est, dans des zones où les habitants vivent de l’agriculture, de la pêche ou autre et considèrent, à juste titre, les réacteurs en question comme une menace majeure pour leurs moyens de subsistance. Le gouvernement indien a répondu aux mouvements d’opposition par un mélange de coercition, de corruption et de propagande. On peut donc difficilement admettre qu’encourager les efforts nucléaires du gouvernement indien relève de la démocratie.… Continue reading

Sacrifice et loi spirituelle: des solutions pour Fukushima

21 octobre 2013

Akio Matsumura

« À peine avait-il commencé ce qui pourrait finalement devenir l’un des discours décisifs de sa carrière que le Premier ministre Shinzo Abe a lentement levé les mains au niveau de la poitrine et les a écartées dans un geste plein d’assurance.

« Je peux  vous l’assurer », a-t-il déclaré aux membres du Comité international olympique le 7 septembre, «La situation est complètement maîtrisée. »

Le Premier ministre essayait alors de convaincre son audience de Buenos Aires que les fusions multiples de la centrale nucléaire de Fukushima n°1 qui ont suivi le tsunami provoqué par le grand séisme du Japon de l’Est le 11 mars 2011 ne devaient pas être source d’inquiétude si Tokyo était choisie pour accueillir les Jeux olympiques de 2020.

L’accident nucléaire, a t-il poursuivi, « n’a jamais causé de dégâts à Tokyo et il n’en causera jamais. » (Jun Hongo, The Japan Times)

La confiance insolente du Premier ministre Abe n’est pourtant pas justifiée par l’actualité sur les pathétiques efforts de nettoyage du site autour des réacteurs 1, 2, 3 et 4. On a même du mal à suivre le nombre d’histoires rapportant les échecs, imprévus mais incessants, des mesures mécaniques et les erreurs commises par les ouvriers. Que représentent pour nous des chiffres comme « 400 000 becquerels par litre » ou 1 533 assemblages de combustible usé ? Le peu de fiabilité de l’information complique encore nos efforts de compréhension. Or ce problème pourrait être résolu avec une évaluation véritablement indépendante de toute une série de questions techniques, notamment d’hydrologie et d’ingénierie mécanique et électrique.… Continue reading

Le retraitement nucléaire ne sert à rien – Un facteur de risque inutile

Introduction d’Akio Matsumura

J’ai décidé de consacrer tout mon temps à prolonger la discussion sur l’accident de Fukushima et le processus de décontamination pour la raison suivante : l’énergie nucléaire est capable de changer notre pays et la société pour des dizaines de milliers d’années. Nous avons certes connu des conflits majeurs au cours des derniers siècles, mais même après la seconde  guerre mondiale qui fit 60 millions de victimes, nos sociétés se sont avérées résilientes et se sont remises en quelques décennies, malgré certaines altérations permanentes. Mais l’incendie d’une piscine de combustible nucléaire provoquerait une catastrophe sans précédent.

Les travaux de Frank von Hippel, professeur à l’Université de Princeton et co-fondateur du Panel international sur les matériaux fissiles (IPFM)m’ont fait prendre conscience des problèmes liés au retraitement du combustible nucléaire, un autre aspect de la technologie nucléaire. Chris Cote, l’éditeur de ce blog, résume ici la récente étude de Frank von Hippel et Masafumi Takubo et décrit la manière dont cette technologie est la source d’un risque supplémentaire : la création de plutonium, un matériau qui sert à fabriquer les armes nucléaires. Je voudrais remercier Frank von Hippel d’avoir bien voulu relire le résumé que nous publions ici.

 Le retraitement nucléaire ne sert à rien :

Un facteur de risque inutile

Chris Cote

L’autre programme nucléaire du Japon

L’eau irradiée de Fukushima Daiichi continue à s’écouler dans le Pacifique, trois réacteurs demeurent si radioactifs qu’on ne peut s’en approcher et un quatrième, rempli de combustible usé, menace de s’effondrer sous son propre poids.… Continue reading

Et l’orchestre continuait de jouer…

25 septembre 2013

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Scott Jones, Ph.D.(doctorat en Études Internationales)

Des preuves historiques montrent que l’orchestre du Titanic continua héroïquement à jouer jusqu’au dernier plongeon du navire au fond de l’Océan atlantique. Il serait tentant de comparer ce petit morceau d’histoire avec ce qui se joue actuellement au Japon après la décision du Comité olympique de choisir le Japon pour accueillir les Jeux olympiques de 2020 à Tokyo. Cette expression « le spectacle doit continuer », avec son côté théâtral, reflète une certaine justesse dans l’observation, mais les deux situations sont foncièrement différentes.

Le nombre de victimes du Titanic est effectivement choquant, et ce d’autant plus que le navire avait été déclaré insubmersible par les experts. La musique qui nous parvient de Fukushima est franchement inquiétante : ce sont les bruits émanant du réacteur no 4, gravement endommagé ; le bâtiment s’enfonce de plus en plus, menaçant de s’effondrer dans une lente agonie. En cas d’effondrement, la piscine de refroidissement qui contient le combustible usé tomberait d’une trentaine de mètres, exposant les assemblages de barres de combustible et provoquant une catastrophe mille fois pire que celle d’Hiroshima.

Ceux qui auront survécu aux conséquences mondiales de l’enfer radioactif qui en résultera n’oublieront pas le Japon. Mais les souvenirs pourront être très variables : on se souviendra avec compassion des milliers de civils innocents tués à Hiroshima et Nagasaki suite à une attaque nucléaire menée en temps de guerre. Mais on n’aura aucune compréhension pour le Japon qui a refusé de faire appel à l’assistance internationale pour l’aider à faire face à l’escalade des risques après le séisme et le tsunami de mars 2011.… Continue reading