Sacrifice et loi spirituelle: des solutions pour Fukushima

21 octobre 2013

Akio Matsumura

« À peine avait-il commencé ce qui pourrait finalement devenir l’un des discours décisifs de sa carrière que le Premier ministre Shinzo Abe a lentement levé les mains au niveau de la poitrine et les a écartées dans un geste plein d’assurance.

« Je peux  vous l’assurer », a-t-il déclaré aux membres du Comité international olympique le 7 septembre, «La situation est complètement maîtrisée. »

Le Premier ministre essayait alors de convaincre son audience de Buenos Aires que les fusions multiples de la centrale nucléaire de Fukushima n°1 qui ont suivi le tsunami provoqué par le grand séisme du Japon de l’Est le 11 mars 2011 ne devaient pas être source d’inquiétude si Tokyo était choisie pour accueillir les Jeux olympiques de 2020.

L’accident nucléaire, a t-il poursuivi, « n’a jamais causé de dégâts à Tokyo et il n’en causera jamais. » (Jun Hongo, The Japan Times)

La confiance insolente du Premier ministre Abe n’est pourtant pas justifiée par l’actualité sur les pathétiques efforts de nettoyage du site autour des réacteurs 1, 2, 3 et 4. On a même du mal à suivre le nombre d’histoires rapportant les échecs, imprévus mais incessants, des mesures mécaniques et les erreurs commises par les ouvriers. Que représentent pour nous des chiffres comme « 400 000 becquerels par litre » ou 1 533 assemblages de combustible usé ? Le peu de fiabilité de l’information complique encore nos efforts de compréhension. Or ce problème pourrait être résolu avec une évaluation véritablement indépendante de toute une série de questions techniques, notamment d’hydrologie et d’ingénierie mécanique et électrique.

La question fondamentale reste la même : que va t-il advenir de Fukushima ?

Le Grand Mufti Kuftaro au Kremlin avec le président Gorbachev et Akio Matsumura
Le Grand Mufti Kuftaro au Kremlin avec le président Gorbachev et Akio Matsumura

Un problème s’est distingué des autres depuis l’émergence des premiers articles sur la catastrophe du 11 mars 2011 : c’est celui des 400 tonnes de combustible usé qui sont stockées en haut de la structure dévastée du réacteur n°4. À partir du mois prochain, TEPCO doit transférer les 1 533 assemblages – des paquets d’uranium, de plutonium et autres matériaux radioactifs créés dans le réacteur durant l’irradiation de l’uranium d’origine – vers une piscine commune située un peu plus loin sur le site.

Cette procédure de transfert est une procédure de routine, mais même dans des circonstances normales, elle implique des risques assez peu probables mais qui peuvent avoir des conséquences graves. Une erreur humaine ou mécanique peut par exemple faire en sorte que le bras de la grue-robot laisse tomber un assemblage dans la piscine, perturbant ou endommageant les assemblages qui y sont encore entreposés.

Dans le cas présent, la procédure de transfert de TEPCO est compliquée par des circonstances extrêmes :

Le manque d’information concernant l’état des assemblages dans la piscine soulève beaucoup de questions (Les assemblages sont-ils endommagés ? Est-ce qu’ils ont bougé dans la piscine ?)

L’absence d’un système ordinateur adapté qui automatise habituellement la procédure ; l’équipement fait sur mesure doit donc être contrôlé manuellement.

Les ouvriers et les opérateurs sont déjà épuisés par des conditions stressantes et extrêmement difficiles.

Selon l’Autorité de sûreté japonaise (la NRA), la piscine de refroidissement du réacteur n° 4 contient 1 533 assemblages de crayons usés et neufs, ce qui équivaut à 14 000 fois la quantité de radio-activité émise par l’attaque nucléaire d’Hiroshima en 1945. TEPCO prétend que le transfert des 1 533 assemblages de combustible sera terminé d’ici la fin de 2014, mais comme celle du Premier ministre Abe, la confiance de façade affichée par TEPCO n’a que peu de rapport avec la réalité. Nous dépendons de solutions technologiques qui sont affectées par les circonstances, les erreurs et la nature, et cela ne va pas changer. Un calendrier qui se compte en décennies plutôt qu’en mois est nettement plus réaliste. Au cours des quarante années à venir, la région est censée subir un autre méga séisme et la probabilité d’une éruption du mont Fuji ira en augmentant.

Le nettoyage de Fukushima est devenu le sujet d’une polarisation irréversible : il est vu comme un référendum, que l’on parle de l’énergie nucléaire ou du le rôle de dirigeant politique. La stratégie politique a remplacé le bon sens. Mais ce ne sont pas les dirigeants politiques qui s’exposent réellement aux risques. Les limites de leur mandat leur épargne d’avoir à rendre des comptes à la population.

L’accident de Fukushima fera des victimes, aujourd’hui ou demain. La solution choisie pour l’instant par le Japon rejette les responsabilités sur nos descendants. L’autre option consiste à agir immédiatement, de toute urgence. De même que l’Union soviétique avait utilisé des centaines de milliers de soldats, les fameux « liquidateurs », pour enfermer complètement le réacteur n°4 de Tchernobyl – ce qui avait provoqué un nombre de décès incalculable – le Japon pourrait envoyer ses soldats et son corps d’ingénieurs pour remplir la même mission de sacrifice. On est ici face à une question morale unique et difficile : obliger ses concitoyens à s’exposer au danger en dehors d’un contexte de guerre, qu’est-ce que cela signifie ?

Liquidateurs soviétiques se présentant au travail à Tchernobyl
Liquidateurs soviétiques se présentant au travail à Tchernobyl

Au cours des derniers deux ans et demi, j’ai mis en place un réseau informel d’une vingtaine de spécialistes de haut niveau, physiciens, ingénieurs, médecins, diplomates, responsables de sûreté nucléaire et leaders politiques issus des États-Unis, du Japon, du Canada, d’Allemagne, de Russie, de France, de Suisse, d’Australie et d’autres pays, afin de discuter et d’essayer de comprendre tous les risques potentiels attachés aux centrales nucléaires, au vu de l’accident de Fukushima. Aujourd’hui pour la première fois, je me tourne vers les chefs spirituels du monde. L’importance qu’ils accordent aux valeurs éternelles a toujours été un moyen de transcender l’impasse politique qui empêche d’agir sur les problèmes urgents concernant notre survie.

Ce message de soutien reçu de David Hempton, Doyen de la Harvard Divinity School [École de théologie de Harvard] le 8 octobre, a été pour moi un encouragement :

 

Cher Akio,
Merci infiniment d’essayer d’établir des contacts et merci des multiples efforts que vous avez fournis durant de nombreuses années pour améliorer tous les aspects de la vie sur notre planète. Je partage vos inquiétudes quant aux dangers potentiels de Fukushima, en particulier les risques à long terme. Comme vous le savez encore mieux que moi, ce problème a disparu des premières pages des médias américains et la plupart des gens n’ont tout simplement pas conscience de la permanence des effets secondaires de l’accident ni des futurs dangers. Ils présument tout bonnement que la situation est maîtrisée.
Il semble que vous ayez déjà mis en place un remarquable groupe d’experts pour vous aider à réfléchir à ces questions, mais j’imagine que votre plus grand problème est le manque de volonté politique au sein du gouvernement japonais pour réfléchir à long terme à la manière de faire face aux dangers restants.
Peut-être qu’un appel aux chefs spirituels les plus influents du monde, dont beaucoup sont sérieusement attachés à la santé écologique de notre planète, donnerait un poids moral essentiel à votre mission de persuasion, surtout s’il s’appuie sur des preuves solides de dangers réels.
Cordialement,
David Hempton
Dean of Harvard Divinity School

J’exhorte tous les chefs spirituels de toutes confessions à réfléchir aux conséquences qu’entraînerait un nouvel accident, non seulement pour le Japon, mais pour le monde entier. Forts de vos traditions et de vos enseignements, comment interprétez-vous la crise mondiale que nous connaissons et les conséquences de notre énergie nucléaire et de la contamination qu’elle provoque sur notre terre et dans nos vies ?

 

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