Après la catastrophe nucléaire de Fukushima, j’ai réalisé une chose importante: nous n’avons pas voulu voir que les radiations provoquées par les bombes atomiques et celles qui proviennent d’un accident nucléaire sont extrêmement similaires en termes de risques pour la vie humaine. Il ya longtemps que nous admettons les dangers des attaques à l’arme nucléaire quand elles sont perpétrées par des États et aujourd’hui nous comprenons la menace que représentent pour les centrales nucléaires l’erreur humaine et les catastrophes naturelles, comme les séismes, les tsunamis et les volcans. Mais il semble que nous soyons passés à côté d’un élément essentiel : et si les centrales nucléaires devenaient une cible ? Je crains surtout la possibilité d’attaques terroristes contre des centrales nucléaires dans les pays instables.
J’ai rencontré d’éminents leaders d’opinion qui sont contre les armes nucléaires mais soutiennent l’énergie nucléaire, parce que celle-ci contribue à réduire le dioxyde de carbone. Il se peut que cette position s’appuie sur des arguments valides, mais il me semble qu’elle perd de vue les risques et les conséquences à long terme.
J’ai demandé au docteur Scott Jones, membre du Conseil consultatif international de l’Alliance pour l’action en cas d’urgence nucléaire (NEAA), d’exposer le rapport entre les centrales et les armes nucléaires. Scott Jones est un ancien officier de marine américain qui a une grande expérience de l’arme nucléaire. Il a été pilote spécialisé dans le largage de bombes nucléaires, chargé de missions d’intelligence, officier de déploiement d’armes nucléaires et a créé les listes de cibles nucléaires pour les plans de guerre du Commandement des forces américaines en Europe. Il est ensuite devenu l’assistant du Sénateur Clairborne Pell. Il est l’auteur de : Fading Memories and Lessons Learned.
– Akio Matsumura
Quel est le rapport entre les centrales nucléaires et les armes nucléaires ?
Scott Jones, Ph.D.
Elles sont – si l’on veut bien passer outre la notion de tendresse généralement impliquée par cette expression – comme mère et fille. Pour la communauté scientifique et le monde du commerce de l’énergie nucléaire, ceci est une évidence. Toutefois, le slogan commercial « l’Atome pour la Paix » a probablement introduit une ambiguïté dans cette réalité. Mais pour le profane, la vérité est rapidement rétablie s’il lit cet article publié en janvier 1983 dans le The Bulletin of the Atomic Scientists:
« Une confirmation encore plus claire de l’avantage économique de prendre la voie de l’électricité nucléaire pour arriver à la bombe nous est fournie par cette admission - extrêmement affligeante - du gouvernement américain à la fin de 1981 : le gouvernement envisageait en effet de se servir du fuel des réacteurs commerciaux comme source de plutonium pour une nouvelle série de têtes nucléaires. Viendrait-il à l’idée des États-Unis de payer le coût politique d’une telle décision si l’argument de l’attrait économique n’était pas convaincant ? ».
Le rapport familial est le lien de base, le lien fondamental, qui unit la production d’énergie nucléaire et les armes nucléaires. Mais d’autres liens importants sont également en jeu.
Les armes nucléaires sont le résultat de décisions politiques de sécurité nationale délibérées. Quand les États-Unis ont eu développé et utilisé les armes nucléaires, tous les pays qui sont entrés ensuite dans le club possédant l’arme nucléaire ont pris cette décision, parce qu’ils estimaient que cette arme leur conférait une sécurité qu’ils n’auraient pas autrement. On prétendait qu’il s’agissait d’une stratégie de défense pour dissuader tous les ennemis potentiels d’utiliser les armes nucléaires contre eux.
La peur est un excellent terreau. Il faut avoir une vraie sagesse et une grande indépendance d’esprit pour pouvoir juger si le choix de suivre la voie de la peur a réduit ou exacerbé la menace perçue. Juger n’est pas la mission de l’Alliance pour l’action en cas d’urgence nucléaire. La mission de la NEAA est de se rendre utile une fois l’urgence déclarée.
Ce que nous pouvons dire avec certitude, c’est qu’une centrale nucléaire est en elle-même une cible potentielle. Mais il est difficile de prévoir quel peut être l’agresseur. Nous avons certes fait des progrès dans la prédiction des menaces naturelles, mais elles resteront toujours, dans une large mesure, une force capricieuse.
Dans le domaine humain, les ennemis actuels et traditionnels se trouveront très certainement sur des listes de cibles et de menaces. Mais la menace peut venir d’un groupe terroriste qui choisirait l’un des 450 réacteurs nucléaires existant dans le monde, dans 31 pays différents, ou plus tard l’une des 60 nouvelles centrales en construction dans 16 pays. Et la centrale à attaquer pourrait être choisie parce qu’elle a été évaluée comme la cible la plus vulnérable pour la capacité d’attaque de ce groupe.
Les cibles ne manquent pas et leur nombre ne cesse d’augmenter. Le succès d’une attaque ne sera pas mesuré à la quantité de radiation rejetée. Cet aspect sera presque négligeable.
Le réseau mondial des centrales nucléaires partage un système nerveux étroitement connecté et susceptible d’être affecté par tout incident frappant une centrale. Que ce soit justifié ou non, un accident ou une attaque sera appréhendée par une bonne partie de la planète à travers le prisme du souvenir d’Hiroshima, Nagasaki, Tchernobyl et Fukushima.