Pour la défense de l’intérêt public : connecter et amplifier les voix indépendantes en matière d’accidents nucléaires

Akio Matsumura

Information tirée de l’ Asahi Shimbun Editorial on Nov 23, 2016 (Anglais) :

Pour la planète Terre, une période de cinq ans et huit mois ne représente que le temps d’un éclair.

Le séisme de force 7,4 qui a frappé l’est du Japon le 22 novembre 2016 et serait une réplique du grand séisme du Japon de l’Est du 11 mars 2011, a servi à réveiller les consciences ; en tant qu’humains, nous avons en effet la mémoire terriblement courte.

Beaucoup cette fois se sont inquiétés en apprenant l’arrêt momentané de la pompe de refroidissement de la piscine de combustible nucléaire usé à la centrale de Fukushima No.2 opérée par Tokyo Electric Power Co (TEPCO)... Au tout début de la catastrophe de mars 2011, l’arrêt de la pompe de refroidissement à la centrale de Fukushima No.1 avait soulevé de sévères inquiétudes quant au combustible usé. On avait alors redouté un rejet massif de substances radioactives.

Nous craignons que cette leçon particulière de la catastrophe de 2011 n’ait déjà été oubliée.

Nous devons en toute humilité tirer les leçons de chaque désastre. Il revient à la société – aux particuliers comme aux entreprises – de continuer à envisager des contremesures viables et ce constamment.

En fin de compte, c’est la seule manière de pouvoir se préparer à la prochaine catastrophe qui pourrait se produire aujourd’hui même.

Le gouvernement japonais et le gouvernement métropolitain de Tokyo inondent l’actualité de promotions pour les Jeux olympiques de 2020 prévus à Tokyo. Devant tant de nouvelles passionnantes, nous remarquons à peine qu’on ne parle quasiment pas de l’avancement des réparations, des difficultés rencontrées par les équipes ou du nombre de zones encore inapprochables sur le site de la centrale nucléaire de Fukushima. De fait, l’observateur lambda au Japon ou aux États-Unis a l’impression que les problèmes nucléaires de Fukushima ont été résolus depuis longtemps et qu’aujourd’hui tout va bien. Ce n’est bien sûr pas le cas. Je crains fort que bien des aspects de la crise nucléaire de Fukushima ne continuent à affecter la sécurité des personnes et de l’environnement.

Vue aérienne de la centrale nucléaire Fukushima Daini de Tokyo Electric Power Co., à Nahara, dans la préfecture de Fukushima, au Japon. Photo prise le 22 novembre 2016. Crédit : Kyodo Kyodo/via REUTERS
Vue aérienne de la centrale nucléaire Fukushima Daini de Tokyo Electric Power Co., à Nahara, dans la préfecture de Fukushima, au Japon. Photo prise le 22 novembre 2016. Crédit : Kyodo Kyodo/via REUTERS

Les médias ont détourné les projecteurs de la crise (Anglais) . Il est donc important de garder à l’esprit les réalités suivantes :

  • En raison de l’importance des radiations, personne ne peut approcher les réacteurs 1, 2 et 3. Aucune solution pour retirer les coriums n’est envisagée pour au moins 40 ans. ans.
  • TEPCO utilise 400 tonnes d’eau par jour pour refroidir les cœurs fondus des trois réacteurs dévastés et 400 tonnes supplémentaires s’infiltrent chaque jour dans les bâtiments réacteurs endommagés. De plus, la pluie emporte dans l’océan les matériaux radioactifs restant sur le site.
  • Le phytoplancton (algues) qui absorbe les isotopes radioactifs de Fukushima nourrit le plancton animal et ses larves microscopiques. Ces microorganismes, première source de nourriture des poissons et des mammifères marins, sont ensuite transportés le long du courant du Pacifique nord jusqu’à la côte ouest de l’Amérique du Nord et se retrouvent en Alaska et au Chili.
  • Un mur souterrain de boue gelée d’une trentaine de mètres de profondeur et de près d’un kilomètre et demi de longueur – officiellement dénommé « le mur de glace » – a coûté 320 millions de dollars et est totalement incapable de remplir son objectif, qui était de réduire le passage de l’eau contaminée.
  • Selon le ministère japonais de l’Économie, du Commerce et de l’Industrie, les mesures de décontamination coûteront plusieurs milliards de dollars par an si l’on veut vraiment améliorer la situation. Il y a peu de chances que le gouvernement japonais soit prêt à consacrer autant de son budget à cet objectif.

Ce que nous avons appris avec l’accident nucléaire de Fukushima, c’est que les priorités du gouvernement japonais et de TEPCO n’étaient pas de protéger le public et malheureusement, beaucoup d’éminents scientifiques nucléaires japonais ont soutenu TEPCO ou gardé le silence. TEPCO a fini par admettre, cinq ans plus tard, qu’ils avaient attendu deux mois pour utiliser le terme de « fusion » à la centrale. Pour les experts du monde entier qui observaient la situation, il était évident que les cœurs étaient en train de fondre dès lors qu’ont eu lieu des rejets massifs de gaz de fission.

J’ai également beaucoup de mal à accepter la façon dont l’Agence internationale de l’énergie atomique (l’AIEA) a géré la situation depuis la crise initiale jusqu’à aujourd’hui. Au départ, l’AIEA a envoyé des experts à Fukushima pour évaluer la situation et aider par leur expertise le gouvernement et TEPCO. Pourquoi l’Agence ne s’est-elle pas interposée quand le gouvernement japonais a décidé une zone d’évacuation de 20 km, soit un quart de la recommandation américaine (80 km) et un dixième ( !) des 200 km –incluant Tokyo – préconisés par le Royaume-Uni, la France et l’Allemagne ? La mission de l’AIEA est de promouvoir l’usage pacifique de l’énergie nucléaire, tout en empêchant que celle-ci soit utilisée à des fins militaires, dont les armes nucléaires. Ces objectifs devraient comprendre une obligation morale de faire de la sécurité publique une priorité, et non pas de défendre les positions des gouvernements-membres et de l’industrie nucléaire.

CARTE INTERACTIVE : Centrales nucléaires et Index de fragilité des États
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À mon avis, la probabilité d’attaques terroristes sur l’un des 430 réacteurs nucléaires existant dans le monde est forte et va en augmentant. Compte tenu des enjeux politiques, économiques et environnementaux que représente le nucléaire pour les gouvernements et l’industrie, la discussion sur la sûreté et la sécurité de l’industrie nucléaire a toutes les chances de rester opaque et limitée. Pour faire contrepoids au manque d’information, il en va de l’intérêt public d’établir un réseau indépendant d’experts en sûreté et sécurité nucléaires. Hans-Peter Durr, récemment disparu, ancien directeur du département d’Astrophysique à l’Institut Max Planck en Allemagne, m’avait dit quelques jours après le début de la crise de Fukushima, qu’après un accident nucléaire, une solution scientifique pour y mettre fin peut prendre des décennies. Selon lui, le seul moyen de minimiser les dégâts serait de rassembler des experts en divers domaines pour arriver à avoir une vue d’ensemble de l’accident nucléaire.

Il est très encourageant de constater l’ampleur du soutien que j’ai reçu pour établir le Conseil consultatif international de l’Alliance pour l’action en cas d’urgence nucléaire (NEAA). Beaucoup de gens m’ont aidé à recruter des experts dans de nombreux domaines : ingénierie nucléaire, médecine, santé et justice environnementales, armée, biologie, activisme social, industrie et réseaux sociaux. Les membres de notre conseil sont des sommités dans leur domaine ; tous sont reconnus et recommandés tant par leurs collègues que par le public. (Remarque : Dans ce conseil, nous ne représentons que nous-mêmes. Les détails professionnels ne sont là que pour le contexte.)

Je suis extrêmement heureux d’introduire les membres actuels du Conseil consultatif international de la NEAA.

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Nous ne savons pas quand, ni où, ni comment un accident nucléaire se produira, mais nous devons admettre le fait que les gouvernements et l’industrie feront tout leur possible pour masquer les dangers au public.

De nos jours, nous avons accès à l’information et les moyens de connecter des experts pour analyser, interpréter et communiquer cette information. Le défi auquel nous sommes confrontés est de mettre en place et de maintenir un réseau efficace, indépendant, qui serve à défendre l’intérêt public.