Akio Matsumura
À l’occasion du 5è anniversaire de l’accident nucléaire de Fukushima, j’ai écrit un article intitulé « Les leçons de Fukushima : nouvelles inquiétudes pour l’avenir. » J’ai eu le grand plaisir de recevoir beaucoup de réactions positives d’amis et d’autres lecteurs.
Nombre de lecteurs ont aussi exprimé leur frustration devant le fait que beaucoup de problèmes non résolus se poursuivent : 400 tonnes d’eau contaminée de la centrale de Fukushima se déversent dans l’océan chaque jour ; aucun site de stockage n’a encore été désigné pour les déchets nucléaires ; et aucune solution scientifique concernant le démantèlement des réacteurs fondus n’est en vue pour les 40 prochaines années. Les lecteurs ont également bien compris mon inquiétude quant à la forte probabilité d’attaques terroristes contre les centrales nucléaires en fonctionnement dans le monde et la nécessité d’établir des mécanismes et des stratégies pour faire face à la situation qui résulterait de ce genre d’attaque : plans d’action et interventions post-évènement. Je suis reconnaissant aux organisations Physicians for Social Responsibility/International Physicians for the Prevention of Nuclear War (PSR/IPPNW Suisse) d’avoir publié mon article en anglais et en français. (l’IPPNW a reçu le Prix Nobel de la Paix en 1985).
Nous avons compris qu’un simple incident ou une seule erreur dans n’importe laquelle des centaines de centrales nucléaires existantes pourrait causer des pertes humaines et des dégâts environnementaux terribles pendant plusieurs décennies, voire plusieurs siècles. Les dégâts provoqués par une attaque nucléaire ou une “bombe sale” seraient si énormes qu’il serait difficile de les calculer, mais il ne fait aucun doute que leurs coûts dépasseraient largement ceux du développement et de la mise en œuvre de sources d’énergie renouvelables. Si l’on regarde plus loin, il faut aussi se demander comment nous allons pouvoir stocker sans danger ces assemblages de combustible usé – quand on sait que le plutonium a une demi-vie de 24 000 ans – et comment identifier des sites appropriés pour stocker ces déchets nucléaires afin de protéger nos descendants.
Je vois clairement des possibilités de crises dans les quelques 430 réacteurs nucléaires qui sont réparties dans 31 pays ; 66 nouveaux réacteurs sont en construction dans 16 pays. Nous avons longtemps admis le danger d’attaques à l’arme nucléaire qui seraient perpétrées par des États ; aujourd’hui, nous devons comprendre et tenir compte de la menace que représentent l’erreur humaine et les catastrophes naturelles, comme les séismes, les tsunamis et les volcans, sans sous-estimer les risques d’attaques terroristes contre ces centrales. Je crains surtout la possibilité d’attaques terroristes contre des centrales nucléaires dans les pays très instables. Non seulement nous ne pouvons pas mettre un terme à des guerres et des conflits toujours plus nombreux, mais il n’est peut-être pas très réaliste d’espérer que le risque d’attaques terroristes contre des centrales nucléaires va aller en se réduisant ou que les gouvernements et l’industrie nucléaire vont se sentir davantage concernés par ces défis.
Albert Einstein a dit en 1945: « L’avènement de l’énergie atomique a tout changé, sauf notre manière de penser… La solution à ce problème se trouve dans le cœur de l’homme. Si seulement j’avais su, je serais devenu horloger. »
Je suis convaincu que nous devons prendre des mesures qui nous préparent de manière responsable à répondre à une crise nucléaire.
Prévention et actions post-évènement
La prévention d’une crise nucléaire est un besoin de premier ordre auquel les gouvernements, l’AIEA, de nombreux organismes internationaux et les leaders d’opinion doivent (et certains le font) faire face à tout prix. Cette semaine, le Président Obama accueille le quatrième et dernier Sommet pour la sécurité nucléaire à Washington, D.C. Malgré ces efforts, l’intérêt pour la sécurité nucléaire parmi les dirigeants mondiaux est en déclin, un déclin qui s’explique en partie par une sorte d’autosatisfaction, un sentiment que tout va bien puisqu’une catastrophe nucléaire totale ne s’est pas encore produite.
Mais que se passerait-il s’il se produisait une telle crise ? Prévenir une crise nucléaire est une chose. Limiter les dégâts et la panique après-coup en est une autre. Ce que j’ai appris avec Fukushima, c’est que les actions post-évènement doivent elles aussi être anticipées : comment organiser au mieux des réparations sur des structures nucléaires, l’évacuation de milliers ou de millions de personnes, répondre aux traumatismes psychologiques et mettre en place d’autres actions que nous préférons ignorer ? Le défi est de faire appel à la sagesse des experts issus de divers domaines pour pouvoir analyser les choses de manière exhaustive. Certes le problème ne peut pas vraiment être anticipé et résolu complètement, mais nous pouvons établir des mécanismes qui assurent une sérieuse préparation à des scénarios post-événement dans le cas de crises nucléaires pour les prochaines générations.
Je voudrais introduire ici l’Alliance pour l’action en cas d’urgence nucléaire (NEAA). J’ai cofondé l’EAA pour répondre à trois besoins spécifiques : (1) identifier les premières étapes qui suivent une crise nucléaire et proposer les conseils d’ingénieurs, d’hommes politiques et de médecins à travers l’expertise polyvalente d’un Conseil consultatif international, (2) développer des protocoles médicaux d’intervention bien documentés et efficaces pour réduire l’impact de l’exposition aux radiations, et (3) communiquer des informations et des analyses exactes, sérieuses, par le biais des réseaux sociaux.
J’ai la chance d’avoir pour co-fondateur Steven Evans, que j’ai rencontré il y a deux ans à l’occasion d’une conférence où l’on discutait des ramifications de l’accident nucléaire de Fukushima. Il m’a notamment aidé à réfléchir à la manière dont on peut traiter des centaines de milliers de personnes qui ont déjà été affectées par les radiations. Ces victimes vont des personnes qui été exposées aux tests atomiques du début de la Guerre froide jusqu’aux personnes touchées par les accidents de Tchernobyl et de Fukushima.
Nous aimerions que vous nous fassiez part de votre avis et de vos commentaires, tandis que nous essayons d’améliorer l’efficacité de l’EAA.
Introduction de l’Alliance pour l’action en cas d’urgence nucléaire
Contexte
Des politologues sérieux estiment qu’il est de plus en plus probable que des terroristes décident de cibler une ou plusieurs centrales nucléaires dans le monde, en particulier au Pakistan, où la confusion politique et la médiocrité de la sûreté rendent les centrales particulièrement vulnérables.
D’autres formes de menace existent : faire exploser par exemple un engin nucléaire caché dans une “valise” dans des endroits stratégiques [comme Wall Street], dans le but de répandre radiations et panique. De récentes histoires de vols de matériaux radioactifs [dans des hôpitaux et d’autres sites, aux États-Unis, en Irak et dans certains États de l’ex-URSS] qui pourraient bien sûr tomber aux mains de terroristes, viennent conforter cette inquiétude.
En cas de crise, les gouvernements auraient à faire face à des pressions qui seraient en concurrence, à savoir résoudre un problème extrêmement difficile et empêcher le déchaînement de la panique. Le fait que ces besoins soient en concurrence creuse un fossé empli de méfiance entre les citoyens et leur gouvernement.
Définition de la mission
Besoins-clés. Compte-tenu de la montée de ces menaces et du conflit d’intérêts des gouvernements, nous avons identifié pour un scénario post catastrophe nucléaire trois besoins essentiels qui ne sont pas pris en compte. Le premier est de s’être préparé à évaluer toutes sortes de crises possibles et à formuler des solutions innovantes pour les autorités, afin de limiter le plus rapidement possible l’aggravation des dégâts, via des réparations d’urgence ou des mesures d’évacuation par exemple. Un groupe d’autorités disposant d’une vaste panoplie de types d’expertise pourrait évaluer la situation de manière indépendante et, ce faisant, aider à mobiliser les ressources pour résoudre les problèmes qu’il considèrerait comme les plus urgents.
Le second besoin critique est de concevoir des interventions utiles et valables qui pourraient être menées par le public, même quand on continue à lui “assurer” que tout est sous contrôle et qu’il n’y a pas de danger. Il est essentiel d’avoir à disposition des protocoles médicaux fiables et clairement définis pour faire face aux rejets de radioactivité. Actuellement, il n’existe quasiment pas de protocoles médicaux qui pourraient protéger les populations contre l’exposition aux radiations. Ce qu’il faut, c’est compiler à l’avance les interventions dignes d’intérêt pour divers taux d’exposition aux radiations pouvant résulter d’une catastrophe nucléaire.
Le troisième besoin est d’utiliser de la manière la plus efficace possible les réseaux et les stratégies des médias sociaux, que l’EAA emploierait pour diffuser des informations et des analyses exactes et fiables, ainsi que les protocoles établis par ses soins.
Plan d’action. Premièrement, l’EAA mettra en place un Conseil consultatif international de 100 leaders d’opinion et experts techniques respectés qui pourront offrir aux communautés affectées une diversité de perspectives dignes de foi sur l’évacuation, la sécurité et les autres aspects de la réponse de crise. Deuxièmement, l’EAA réalisera des protocoles médicaux, fiables et efficaces, pour intervenir en matière d’exposition aux radiations ; ces protocoles seraient prêts à être utilisés immédiatement en cas de besoin. Enfin, l’EAA exploitera toute la gamme de réseaux de médias sociaux pour diffuser l’information, les analyses et les protocoles réalisés.
Stratégie. L’EAA va rassembler un groupe d’une centaine de responsables issus de nombreux pays différents, de multiples disciplines, représentant la diversité des groupes du secteur privé et du secteur public. Initiateur du projet et l’un des co-fondateurs de l’EAA, Akio Matsumura a longuement démontré sa capacité remarquable à mettre en place ce genre de rassemblement de leaders d’opinion et il est prêt à entreprendre cette tâche une fois encore pour l’EAA. L’autre co-fondateur, Steven Evans, a parcouru la littérature médicale à comité de lecture/revue par les pairs pour y chercher les interventions médicales utilisables et aiderait à rassembler les experts médicaux en matière d’exposition aux radiations. Il a également toute l’expérience nécessaire pour exploiter les médias sociaux pour assurer la communication avec le large public ciblé par l’EAA.
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