Comprendre le défi nucléaire et trois autres menaces sécuritaires

Akio Matsumura

Les règles de la guerre sont en train de changer. Infiltrations secrètes de la cyberguerre. Conquête de vastes territoires et ressources par l’État islamique. L’ONU et les autres instances politiques que nous avons mises en place au 20è siècle n’étaient pas destinées à gérer de tels problèmes et ne parviendront sans doute pas à le faire. Les réformes qui ont été régulièrement appliquées n’ont pas réussi à suivre le rythme des changements nécessités par la technologie et l’insatisfaction de la jeunesse. Ces nouveaux problèmes exigent effectivement d’être envisagés différemment. Il y a un décalage entre les conséquences potentielles des problèmes de sécurité auxquels nous sommes aujourd’hui confrontés et les structures dont nous disposons pour y répondre.

Quatre problèmes plus graves que les autres menacent le monde. Chacun d’entre eux est un défi au cadre sécuritaire sur lequel nous nous reposons depuis 25 ans et menace de dégénérer en une catastrophe que nous ne pourrons pas juguler.

  1. Moyen-Orient : Cette région du monde est dans une situation terrible : guerre civile en Syrie, intensification de la guerre contre l’État islamique en Syrie, en Iraq, au Yémen, conflits entre sunnites et chiites dans la région et négociations nucléaires avec l’Iran.
  2. Pakistan : À quelques pas de là, le Pakistan possède des armes nucléaires, accumule les conflits tribaux et entretient avec l’Inde une rivalité exacerbée par un terrorisme soutenu par l’État.
  3. Est de l’Ukraine : la lente avancée du Président Poutine à la frontière se révèle de plus en plus dangereuse.
  4. Chine : L’énorme investissement consacré à l’immobilier a créé une bulle qui ne demande qu’à éclater. Les nombreuses villes-fantômes résultant de cette politique pourraient provoquer des émeutes et menacer la stabilité de la nation ; la gravité de la menace pourrait atteindre des niveaux jusqu’ici inconnus. La situation est particulièrement tendue dans les régions autonomes du Xinjiang et du Tibet.

Parmi les quatre conflits actuels, le risque potentiel des conflits du Moyen-Orient pour le monde dépasse de loin celui des trois autres cas. L’enchevêtrement des luttes sectaires, des problèmes sécuritaires liés à l’énergie et de la richesse signifie que beaucoup de parties sont concernées et que les enjeux sont énormes. Il a été très difficile de trouver une bonne solution. La négociation sur l’avenir de l’Iran, qui doit se terminer le 30 juin, devrait servir à changer la trajectoire du conflit, la force des alliances et l’équilibre du pouvoir dans la région.

La rédaction du New York Times écrivait en mai :

La rencontre du Président Obama cette semaine avec les dirigeants arabes offre une opportunité de rassurer les États du Golfe toujours sceptiques en montrant que l’engagement et l’accord nucléaire probable de l’Amérique avec l’Iran ne sont pas une menace mais une chance pour la stabilité dans la région. L’Iran est une nation chiite ; les États du Golfe sont en majorité sunnites et plus l’Iran et les grandes puissances se rapprochent d’un accord (la date limite choisie est le 30 juin), plus les dirigeants sunnites sont inquiets. De ce point de vue, M. Obama est à même d’offrir une réponse convaincante : Un Iran contenu par un accord solide et vérifiable est nettement moins dangereux qu’un Iran sans restrictions.

L’importance d’un accord négocié avec l’Iran échappe à de nombreux observateurs externes et au lecteur de journaux lambda, en raison de la technologie et des processus techniques qu’il implique. Comment passe-t-on de l’uranium contenu dans le sol à une bombe qui mérite l’attention internationale ? J’espère qu’en introduisant The Iran Framework Agreement as a Paradigm for Peace [L’accord-cadre avec l’Iran : un paradigme pour la paix], nous pourrons éclairer certains aspects techniques de la discussion et amener à une meilleure compréhension des enjeux. Voici les explications de Gordon Edwards, un expert nucléaire canadien souvent appelé à témoigner auprès du parlement :

L’accord-cadre relatif au programme nucléaire iranien – s’il est appliqué intégralement – empêcherait l’Iran de produire des matériaux explosifs nucléaires pendant au moins 10 ou 20 ans. Plus important encore, si les mêmes conditions étaient acceptées par toutes les nations du monde, y compris les cinq États officiellement dotés de l’arme nucléaire, ce serait un grand pas pour l’humanité vers un monde sans armes nucléaires, dans une décennie, voire deux.

Pour aider à comprendre les opportunités sans précédent que représente cet accord, voici quelques explications de base concernant la nature des matériaux explosifs nucléaires.

Toute arme nucléaire nécessite un explosif nucléaire primaire. Il n’existe que deux matériaux utilisés dans ce but : l’uranium hautement enrichi (HEU = Highly Enriched Uranium)) et tous les types de plutonium (sauf le plutonium 238). On appelle uranium hautement enrichi tout uranium contenant un assez fort pourcentage (20 pour cent ou plus) d’uranium 235. L’uranium naturel – c’est-à-dire celui qui est extrait du sol partout dans le monde – ne contient que 0,7 pour cent d’uranium 235 et 99,3 pour cent d’uranium 238. L’uranium 238 n’est pas utilisable comme explosif nucléaire primaire. Le mélange d’uranium 238 et d’uranium 235 qu’on trouve dans l’uranium naturel n’est pas non plus utilisable pour en faire des armes nucléaires, parce qu’il ne contient pas suffisamment d’uranium 235.

L’enrichissement de l’uranium est un processus qui consiste à réduire progressivement la proportion d’uranium 238 pour augmenter la concentration d’uranium 235 et arriver à un pourcentage d’U-235 de 3, 5, 20, 90 pour cent, voire plus.

Quand l’uranium a une teneur en uranium 235 de plus de 90 pour cent, on l’appelle “uranium de qualité militaire”; il est idéal pour fabriquer les bombes atomiques. Mais en réalité, l’uranium qui contient plus de 20 pour cent d’uranium 235 est dit “hautement enrichi” (HEU) et peut, en principe, servir à fabriquer un engin explosif nucléaire.

[Le combustible nucléaire utilisé dans le réacteur national de recherche universel (NRU) de Chalk River contient entre 19 et 20 pour cent d’U-235, précisément le seuil magique entre l’uranium faiblement enrichi (LEU = Low-Enriched Uranium)) et l’uranium hautement enrichi (HEU). Mais ce réacteur utilise également des “cibles” d’uranium de qualité militaire pour produire des isotopes médicaux, et continue à importer de l’uranium de qualité militaire des États-Unis. Les laboratoires de Chalk River ont un permis d’importation spécifiquement pour cela.]

En acceptant de n’enrichir leur uranium qu’à 3,7 pour cent, les Iraniens renoncent à la possibilité de produire de l’uranium de qualité militaire ou même de l’uranium utilisable dans des armes nucléaires. Ils vont aussi arrêter 2/3 de leurs centrifugeuses (les machines qu’on utilise pour enrichir l’uranium) les plus élaborées, justement les centrifugeuses dont on a besoin pour fabriquer de l’uranium hautement enrichi.

Plutonium
Le plutonium n’existe pas dans la nature. C’est un dérivé de l’uranium, produit dans les réacteurs nucléaires. Plus spécifiquement, quand un atome d’uranium 238 absorbe un neutron libre dans le réacteur il se transforme en un atome de plutonium 239. La poursuite de la capture de neutrons produit d’autres isotopes de plutonium plus lourds : plutonium 240, 241, 242, etc.

Tous ces isotopes du plutonium produits en réacteur sont utilisables comme explosif nucléaire primaire, mais le meilleur (pour en faire des armes) est le plutonium 239. Tout plutonium contenant une très forte teneur en plutonium 239 est considéré comme « plutonium de qualité militaire ». Mais n’importe quel plutonium produit en réacteur peut parfaitement servir à la fabrication d’armes, quelle que soit sa concentration en plutonium 239.

Voir http://ccnr.org/plute.html

Pour extraire le plutonium du combustible nucléaire irradié, on a besoin de la technologie du “retraitement”. Le retraitement implique de dissoudre les assemblages de combustible solides en faisant bouillir de l’acide nitrique, produisant ainsi de grandes quantités de déchets liquides hautement radioactifs, puis en séparant chimiquement le faible pourcentage de plutonium de la solution liquide. Une fois resolidifié, le plutonium peut fournir un matériau explosif nucléaire très puissant.

Réacteurs à eau lourde

Les réacteurs nucléaires commerciaux nécessitent du combustible nucléaire (généralement de l’uranium ou du plutonium) et une substance appelée “modérateur” qui sert à ralentir les neutrons, permettant ainsi une réaction nucléaire en chaîne efficace. Si on utilise de l’eau ordinaire comme modérateur, le combustible constitué d’uranium doit être enrichi pour atteindre une teneur en U-235 de 3 à 5 pour cent. C’est ce qu’on appelle de l’uranium faiblement enrichi (LEU).

Cependant, si on utilise de l’eau “lourde” à la place de l’eau “légère”, l’uranium n’a pas besoin d’être enrichi du tout. Ce genre de réacteur, qu’on appelle réacteur à eau lourde, peut sans problème fonctionner avec de l’uranium naturel. De cette façon, il peut y avoir production de plutonium sans le moindre recours à l’enrichissement de l’uranium. Ce plutonium – une fois extrait du combustible usé par le retraitement – peut alors être utilisé comme explosif nucléaire primaire dans de nombreux types d’armes nucléaires.

En acceptant de renoncer à la poursuite de toute technologie de retraitement, les Iraniens acceptent de ne pas récupérer le plutonium contenu dans leur combustible usé, ce qui les empêche de se servir de ce plutonium comme explosif nucléaire primaire.

De plus, la conception de leur tout nouveau réacteur à eau lourde (le réacteur d’Arak) sera modifiée pour s’assurer qu’il ne puisse pas être utilisé pour fabriquer le type de plutonium idéal pour faire des bombes, le plutonium “de qualité militaire”, qui est exceptionnellement riche en plutonium 239.

Conclusion 

En éliminant la production de HEU et en renonçant au retraitement pour extraire le plutonium, l’Iran abandonne de facto toute idée d’armes nucléaires. Le pays ne peut produire aucun matériau qui puisse servir d’explosif nucléaire primaire.

À moins de l’obtenir d’ailleurs de manière illégale ou de trouver un moyen de le fabriquer clandestinement. Mais l’Iran est aussi d’accord pour se soumettre à la surveillance draconienne de toutes ses installations nucléaires par les autorités de l’AIEA, y compris à des inspections non annoncées.

Réflexions finales

En imposant des obligations similaires à toutes les nations, nous serions en mesure d’éliminer complètement la production d’armes nucléaires. Alors, une fois les armes nucléaires démantelées et les explosifs nucléaires primaires rendus inaccessibles, un monde sans armes nucléaires serait à portée de mains.

Malheureusement les pays qui pointent avec le plus d’insistance un doigt accusateur vers l’Iran avec le plus d’insistance – les États-Unis, le Royaume-Uni, Israël et la France, et quelques “observateurs silencieux” comme la Chine, la Russie, l’Inde et le Pakistan – ont tous leur propres stocks d’armes nucléaires. Le message destiné à l’Iran est bien « Faites ce que je dis, pas ce que je fais ».

La paix dans le monde et l’abolition des armes nucléaires ne pourront jamais être réalisées sur la base du principe hypocrite deux poids deux mesures. Si les armes nucléaires sont effectivement la plus grave menace existentielle pour la survie de l’humanité et des autres formes de vie de la planète, personne ne devrait en détenir.

Si l’Iran accepte de renoncer à avoir accès aux armes nucléaires en rendant impossible l’acquisition des matériaux nucléaires explosifs primaires, toutes les autres nations ne devraient-elles pas faire de même ? Les peuples du monde ne devraient-ils pas tout simplement l’exiger ?

« La puissance déchaînée de l’atome a tout changé, sauf nos modes de pensée, et nous glissons ainsi vers une catastrophe sans précédent. »

- Albert Einstein

Gordon Edwards.

 

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